Par
François Affholder, Chercheur et agronome au Cirad (Centre de
coopération
internationale et de recherche agronomique pour le développement),
Nicolas Bricas,chercheur et chargé de mission sur la sécurité
alimentaire au Cirad, Benoît Daviron, chercheur en économie
politique au Cirad, Eve Fouilleux, directrice de recherches au CNRS
Les
débats suscités par la récente publication de Séralini et ses collègues
ont été l’occasion de présenter les OGM comme une
solution potentielle à la faim dans le monde. En tant qu’agronomes
et spécialistes des questions de sécurité alimentaire, nous ne pouvons
pas laisser croire que les OGM sont la voie pour nourrir
l’humanité, fut elle de 9 milliards d’individus en 2050, voire 12
milliards dans les scénarios les plus pessimistes.
Au
premier rang des avantages attendus des OGM est mise en avant leur
potentielle contribution à l’accroissement de la
production. Cela soulève une première question : le problème de la
faim dans le monde est il vraiment un problème de production
insuffisante ?
Comme
l’ont montré de nombreux travaux sur l’insécurité alimentaire, le
problème est d’abord celui de l’accès à
l’alimentation par les individus, c’est-à-dire l’accès à la terre ou
à des revenus, et une question de démocratie, bien avant d’être un
problème de quantités produites. Les niveaux de production
actuels sont déjà suffisants pour nourrir la planète. L’équivalent
de 4 972 calories par habitant est produit par jour en moyenne dans le
monde sous forme de productions végétales, mais seule
environ la moitié (2 468 calories par jour et par habitant en
moyenne) arrive dans les assiettes des consommateurs du monde. Une très
grande partie des quantités produites est utilisée pour
nourrir les animaux d’élevage intensif, transformées en
biocarburants ou encore gaspillées, que ce soit après la récolte, dans
les supermarchés, ou au sein des foyers (1).
Une deuxième question surgit : les OGM sont-ils une solution pour produire davantage dans les pays concernés par l’insécurité
alimentaire ?
Les
observations dans les champs des agriculteurs des pays en voie de
développement montrent que les rendements obtenus ne
sont pas limités par les caractéristiques des espèces et des
variétés qu’ils cultivent, mais d’abord par leur faible recours aux
fertilisants organiques et minéraux. C’est souvent ce manque de
fertilisation qui favorise l’infestation des cultures par les
mauvaises herbes et les rend sensibles aux maladies. Il serait ainsi
déjà possible d’augmenter ces rendements, en mettant simplement
en œuvre les principes classiques de l’agronomie : gestion de la
fertilité des sols et des successions de culture. On pourra même aller
plus loin dans l’amélioration des rendements avec une
meilleure maîtrise du fonctionnement intime des écosystèmes
cultivés, en tirant profit notamment des synergies qui peuvent exister
entre espèces biologiques, au service d’une production économe
en fertilisants et pesticides. D’autres marges de manœuvre sont
également importantes dans la maîtrise de l’eau ou dans l’amélioration
des conditions de stockage post-récolte.
Troisième
question : si des technologies existent déjà pour augmenter les
rendements dans ces régions, pourquoi ne sont-elle
pas mises en œuvre dès maintenant par les agriculteurs pauvres ?
Parce qu’ils sont pauvres, justement, et qu’ils ne disposent pas du
minimum de moyens pour investir dans la fertilité de leurs
sols, dans des aménagements pour mieux tirer parti de l’eau, dans
des moyens de stockage plus performants. Plus généralement, ils ne
disposent pas de la capacité financière qui les autoriserait,
comme le font les agriculteurs des pays industrialisés, à viser des
objectifs de production élevés, rémunérateurs à condition de pouvoir se
prémunir contre les risques que ces objectifs
impliquent. Les marchés qui leur sont potentiellement accessibles ne
rémunèrent pas suffisamment ou de manière trop incertaine leur travail
ou leurs investissements pour avoir un effet incitatif.
De plus, l’accès au crédit leur est le plus souvent difficile, voire
impossible.
Enfin,
les solutions mentionnées ici verraient sans doute leurs effets
renforcés par la diffusion de variétés de plantes
améliorées, mais là encore, d’autres techniques que les OGM sont
disponibles. Des variétés améliorées par sélection et/ou hybridation
«classiques», qui peuvent être associées à des changements
des systèmes de culture, peuvent permettre d’augmenter la
production. Bien qu’elle paraisse démodée aux yeux de certains,
l’amélioration semencière classique présente un double avantage : elle
est plus accessible à la plupart des pays du monde et plus flexible
pour adapter les plantes cultivées à la multitude des contextes locaux.
Rien
n’indique donc que nous ayons besoin des OGM pour alimenter le monde.
En revanche, nous avons besoin de prendre le temps
de la recherche pour en peser les avantages, les inconvénients et
les risques, et de poser plus clairement la question des contextes
économiques, politiques et sociaux dans lesquels ces nouvelles
technologies sont mobilisées.
(1) Source: Dorin B., 2012. Actualisation pour 2007 des estimations publiées dans Paillard S., Tréyer S., Dorin B. (Dir.),
2010. Agrimonde: scenarios et défis pour nourrir le monde en 2050, Quae, Versailles.
Tribune du 18 octobre 2012 sur www.liberation.fr
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